Les élus du Front national de Metz ont plus d’une fois tiré la sonnette d’alarme sur la multiplication des zones commerciales dans l’agglomération, responsable, entre autres, de la paupérisation du centre-ville ; cette inquiétude a été relayée il y a peu par le nouveau préfet de Moselle, Emmanuel Berthier.
Source (dans tout l’article, cliquer sur les images pour les agrandir)
Un autre élément, inconnu du grand public et au moins aussi risqué pour chacun d’entre nous, est la manière dont la construction et la gestion de ces zones sont financées. Pour l’illustrer, nous allons prendre l’exemple d’un centre commercial de la périphérie de Metz, sans le nommer afin de ne porter aucun préjudice aux gérants et aux employés des commerces qui l’occupent.
Ce centre commercial a été construit par une société néerlandaise spécialisée dans ce domaine (elle-même propriété d’une banque importante dans ce pays) et inauguré en 2007. Cette même année cependant, cette société ainsi qu’un fonds de pension à qui elle était liée ont été impliqués dans un énorme scandale aux Pays-Bas : distribution de pots de vin et achats/ventes de biens immobiliers à des prix inférieurs à ceux du marché. Coïncidence ou conséquence de ce scandale, notre centre commercial messin est vendu à une SAS (société anonyme simplifiée) de droit français, mais détenue à 100% par un fonds d’investissement luxembourgeois également propriétaire d’autres centres commerciaux et immeubles de bureaux dans différents pays d’Europe.
A regarder les résultats de cette SAS sur le site Infogreffe, la santé de ce centre commercial n’est guère florissante :
Il doit en être de même pour les autres biens détenus par le fonds luxembourgeois, puisque la valeur d’évaluation de l’ensemble du portefeuille immobilier est bien inférieure au coût d’acquisition (cf. chiffres ci-dessous), et que les loyers perçus ne compensent en aucun cas ce manque à gagner.
Et pourtant, ce fonds d’investissement, qui promet des performances et revenus importants à ses actionnaires, se porte plutôt bien (graphique Bloomberg) :
Comment cela est-il possible ?
La valeur unitaire de la part d’un fonds d’investissement est calculée ainsi :
(Actifs – Exigible) divisé par le nombre de parts détenues par les actionnaires.
Dans le cas de ce fonds, les actifs sont principalement composés de la valeur du portefeuille immobilier (établie par une société anglaise), et l’exigible par les emprunts souscrits auprès des banques pour acheter ces biens.
Ainsi, pour que la valeur de ce fonds augmente en permanence, ses gestionnaires doivent-ils créer un « effet de levier » en jonglant constamment avec les achats et ventes de biens immobiliers et les emprunts qui les financent (il est à noter que les banques n’ont aucun problème à financer ces montages discutables, alors qu’elles sont si frileuses par ailleurs avec les particuliers et les PME).
De plus, en France au moins, les investisseurs dans ces centres commerciaux bénéficient d’un régime juridique et fiscal plus qu’avantageux, même si ceux-ci sont vides (déficits fonciers remboursables, crédits de TVA remboursables, pas d’impôts sur les sociétés). En cette période de forte instabilité des bourses et de taux d’intérêts négatifs, c’est tout bénéfice pour eux ! Les quelques privilégiés qui bénéficient de la généreuse planche à billets de la Banque centrale européenne ont tout intérêt également à trouver de tels placements.
En plus des fonds d’investissement, nombre de sociétés d’assurance, assurance-vie et épargne-retraite travaillent main dans la main avec les développeurs en immobilier commercial et d’affaires. Ainsi, la société qui a construit récemment un centre commercial près de Thionville appartient-elle pour 20% à l’un des principaux assureurs-vie français (1), et pour 20% à la filiale immobiler du plus gros assureur belge. Une autre de ces sociétés (de droit français) a vendu en 2015 46% de sa participation dans un opérateur allemand de centres commerciaux à un fonds de pension canadien.
Tout cela est parfaitement immoral : c’est une forme de détournement des cotisations et primes confiées en toute bonne foi par des travailleurs honnêtes, car cette prospérité apparente est complètement artificielle, ne repose en aucun cas sur une création de richesse véritable, et est à la merci d’un gros scandale financier ou d’une grave crise économique.
Nos élus locaux sont également largement bénéficiaires de ce système en faisant croire qu’ils s’activent à créer des emplois, ce qui est une belle escroquerie comme l’explique l’économiste Christian Jacquiau à un site catalan :
Pour résumer, nous n’avons pas fini de voir nos terres agricoles bétonnées, les périphéries de nos villes enlaidies et nos économies et retraites mises en danger sans notre consentement (2). Cela pourrait être un bon sujet d’enquête pour un journaliste honnête et motivé, à moins bien sûr que le journal pour lequel il travaille n’appartienne… à un groupe bancaire !
(1) Cet assureur-vie a également des participations dans la société concessionnaire de l’autoroute A63, dans Aéroports de Lyon, dans ADP (Aéroports de Paris)…
(2) Pour reprendre l’exemple néerlandais du début de cet article, le fonds de pension incriminé a perdu 150 millions d’euros, et la banque propriétaire de la société construisant les centres commerciaux 100 millions.
Quelques articles supplémentaires sur ce sujet :
. Pourquoi la France est devenue moche
. La guerre des zones commerciales est déclarée
. Pourquoi les centres commerciaux géants recouvrent la France
Sur le site de PourMetz :
. Le financement de Terra Lorraine
. Le lobbying des groupes de BTP auprès des élus