Poème écrit à Paris le 17 septembre 1892 (dans Invectives)
« Je déteste l’artillerie Qui se moque de la Patrie Et du grand nom de Français. Et j’abomine l’Anarchie Voulant, front vide et main rougie, Tous peuples frères – et l’orgie ! Sans autre forme de procès. Tous peuples frères ! Autant dire Plus de France, même martyre, Plus de souvenirs, même amers ! Plus de la raison souveraine, Plus de la foi sûre et sereine, Plus d’Alsace et plus de Lorraine… Autant fouetter le flot des mers. Autant dire au lion d’Afrique : Rampe et sois souple sous la trique. Autant dire à l’aigle des cieux : Fais ton aire dans le bocage En attendant la bonne cage Et l’esclavage et son bagage. Autant braver l’ire des dieux ! Et quant à l’Art, c’est une offense A lui faire dès à l’avance Que de le soupçonner ingrat Envers la terre maternelle, Et sa mission éternelle D’enlever au vent de son aile Tout ennui qui nous encombrât. Il nous console et civilise, Il s’ouvre grand comme une église A tous les faits de la Cité. Sa voix haute et douce et terrible Nous éveille du songe horrible. Il passe les esprits au crible Et c’est la vraie égalité. Ô Metz, mon berceau fatidique, Metz, violée et plus pudique Et plus pucelle que jamais ! Ô ville où riait mon enfance, Ô citadelle sans défense Qu’un chef que la honte devance, Ô mère auguste que j’aimais. Du moins quelles nobles batailles, Quel sang pur pour les funérailles Non de ton honneur, Dieu merci ! Mais de ta vieille indépendance, Que de généreuse imprudence, A ta chute quel deuil intense, Ô Metz, dans ce pays transi ! Or donc, il serait des poètes Méconnaissant ces sombres fêtes Au point d’en rire et d’en railler ! Il serait des amis sincères Du peuple accablé de misères Qui devant ces ruines fières Lui conseilleraient d’oublier ! Metz aux campagnes magnifiques, Rivière aux ondes prolifiques, Coteaux boisés, vignes de feu, Cathédrale tout en volute, Où le vent chante sur le flûte, Et qui lui répond par la Mute, Cette grosse voix du bon Dieu ! Metz, depuis l’instant exécrable Où ce Borusse misérable Sur toi planta son drapeau noir Et blanc et que sinistre ! telle Une épouvantable hirondelle, Du moins, ah ! tu restes fidèle A notre amour, à notre espoir ! Patiente encor, bonne ville : On pense à toi. Reste tranquille. On pense à toi, rien ne se perd Ici des hauts pensers de gloire Et des revanches de l’histoire Et des sautes de la victoire. Médite à l’ombre de Fabert. Patiente, ma belle ville : Nous serons mille contre mille, Non plus un contre cent, bientôt ! A l’ombre, où maint éclair se croise, De Ney, dès lors âpre et narquoise, Forçant la porte Serpenoise, Nous ne dirons plus : ils sont trop ! Nous chasserons l’atroce engeance Et ce sera notre vengeance De voir jusqu’aux petits enfants Dont ils voulaient – bêtise infâme ! – Nous prendre la chair avec l’âme, Sourire alors que l’on acclame Nos drapeaux encore triomphants ! Ô temps prochains, ô jours que compte Éperdument dans cette honte Où se révoltent nos fiertés, Heures que suppute le culte Qu’on te voue, ô ma Metz qu’insulte Ce lourd soldat, pédant, inculte, Temps, jours, heures, sonnez, tintez ! Mute, joins à la générale Ton tocsin, rumeur sépulcrale, Prophétise à ces lourds bandits Leur déroute absolue, entière Bien au delà de la frontière, Que suivra la volée altière Des ‘Te Deum’ enfin redits ! »La maison natale de Paul Verlaine, au 2 rue Haute-Pierre (près du palais de justice), est ouverte au public du mardi au dimanche, visites à 15h15 et 16h30 ou sur rendez-vous.
Tél. : 06 34 52 22 34